Rhône et Saône dans la ville de demain
Contexte
Dans le cadre du programme de coopération INTERREG DEAS dédié à la donnée numérique et l’environnement, TUBÀ fait partie d’un groupe de travail transnational sur la thématique des fleuves qui s’intéresse aux données historiques des crues et aux outils de surveillance des risques naturels.
Un TUB’Event a été organisé en février 2022 afin de croiser les regards d’experts et du grand public sur le Rhône et la Saône et permettre à tous, de mieux comprendre les cours d’eau, leurs enjeux et évolutions.
Intervenants :
- Michel Lang, ingénieur chercheur en hydrologie – INRAE
- Olivier Pillonel, chargé de mission Ville et Fleuves – Grand Lyon
- Gérald Coste, référent innovation – Compagnie Nationale du Rhône (CNR)
Historique de notre territoire
Situé à la confluence de la plus grande rivière de France (Saône) et d’un fleuve (Rhône), Lyon a bénéficié d’avantages induits par cette organisation géographique qui a joué un rôle déterminant dans sa construction.
Cependant une telle proximité implique également une notion de risques liés aux inondations que peuvent engendrer des phénomènes météorologiques.
La ville a notamment connu 3 épisodes très violents et meurtriers en 1840, 1856 et 2003. Les 2 premiers sont décrits comme des crues « généralisées » (Plus haut niveau de crue selon la typologie théorisée par le géographe Maurice Pardé). Il s’agit d’une succession de perturbations arrivant conjointement de l’océan et de la méditerranée, se propageant ainsi au même moment au nord et au sud du Rhône.
Ainsi, tout une partie de la presqu’île lyonnaise, Villeurbanne et une partie de la Rive gauche se sont vues inondées en 1840. Plusieurs centaines de maisons (alors construites en terres) se sont écroulées et on comptait jusqu’à 3 mètres d’eau à Vaise. Le phénomène s’est reproduit en 1856 avec pour facteur aggravant la rupture des digues du Rhône situées au niveau de la tête d’Or ce qui a également provoqué des inondations dans les quartiers des Brotteaux, Charpennes et Guillotière qui ont été dévastés.
Photo : Inondations en 1856 à Lyon, quais de Saône (© Domaine public)
Le plus récent phénomène remonte à 2003 mais concerne davantage la partie aval du Rhône et n’a pas atteint Lyon. Il a généré plus de 1,1 milliards d’euros de dommages et des coupures d’autoroute.
Photo : Le Rhône à Avignon en décembre 2003 / site Inforisque – source inconnue
Quel fonctionnement au quotidien ?
Acteurs clés et missions
Sur notre territoire lyonnais, plusieurs acteurs interviennent dans la gestion des fleuves et il existe différents domaines de compétences :
- Métropole de Lyon : approche globale des fleuves, plutôt orientée usages et menée en transverse par plusieurs services (ex: direction de l’eau pour l’eau potable, approche écologique, approche sur les risques).
- CNR : vend de l’électricité 100% renouvelable à des gros consommateurs (ex : Groupama Stadium) ce qui permet de financer des missions comme la navigation sur le Rhône, le développement de l’agriculture le long du Rhône, et l’aménagement du fleuve (port de Lyon, ViaRhôna, barrage, écluse, centrale hydro électrique)
- VNF : gère les voies et la navigation (sur la Saône, Rhône et Canal de Miribel qui est une ancienne voie navigable)
Le territoire a été précurseur dans la politique d’aménagement et de reconquête des fleuves en milieu urbain qui a été mise en place dès 1987. En effet, les fleuves ont été identifiés comme vecteurs de construction d’une ville et le choix de plusieurs aménagements ont alors été définis.
Grands projets
Berges de Saône (puis rives de Saône)
Terrasses de la presqu’île (en cours)
Photo : © Asylum // Métropole de Lyon
Port Rambeau (Confluence)
Anneau bleu*
*Sous ce thème, est regroupé un ensemble de projets situés dans les espaces délimités par le Canal de Jonage et celui de Miribel (plus de 3 000 hectares).
Carte : © Benoît Prieur / Wikimedia Commons
Quel est le rôle de la donnée dans la gestion et la compréhension des fleuves ?
2 exemples d’usage de la donnée par la Cnr
Navigation : 330km de fleuve accessible aux grands gabarits (bâtiments qui font 200m de long et remontent de Marseille jusqu’à la Saône) : il faut s’assurer de 2 choses pour garantir le bon fonctionnement de cette activité :
– Bon tirant d’eau : que le bateau ne touche pas les fonds
– Bon tirant d’air : que le bateau passe sous les ponts
Ce qui implique que le fleuve ne soit ni trop haut, ni trop bas. Des capteurs sont ainsi installés sur l’intégralité du fleuve, donnant la hauteur de ce dernier et permettant de contrôler ces modifications.
Production d’énergie : en tant que producteur, il est règlementaire d’annoncer à midi la production qui sera mise sur le réseau électrique le lendemain. Or cette production dépend de plusieurs éléments naturels tels que le niveau d’ensoleillement, le vent ou la vitesse du courant d’eau. Il faut donc tenir compte des affluents, de la pluie, de la température (ex : s’il neige, l’eau ne finit pas sa course pas dans le fleuve) et modéliser l’ensemble de ces éléments. Ces différentes variables nécessitent de la donnée pour alimenter les modèles mathématiques.
Information historique : quels enseignements ?
Le Ministère de la Transition Ecologique estime que près d’1/4 de la population peut être à un moment donné touchée par des inondations. Chaque année, les inondations représentent en moyenne 650 à 800 millions d’euros de dommage. Avec une grande crue, on dépasse le milliard d’euros de dommages.
À la suite d’une directive inondation décidée par la Commission européenne en 2007 en lien avec de graves inondations en Europe, un projet national a été mis en place en France en 2010 : la création d’une base de données historiques sur les inondations (BDHI). Le Ministère de l’Écologie avait chargé l’INRAE de dresser un inventaire des crues pour recenser les plus forts évènements d’inondation connus en France. L’objectif est alors de mettre au point des plans d’action pour réduire les effets des inondations.
Ces données sont alors utilisées à plusieurs fins.
Identification des zones inondables et mise en place de plan d’action
Les zones inondables ont été recensées afin de définir 120 territoires à risque important en France. Pour ces territoires, un travail de cartographie a été mené afin de déterminer l’emprise des zones inondées (faible, moyen, fort) sur la base de données historiques. L’idée était de révéler les enjeux exposés et de définir des plans d’action pour réduire / minimiser les conséquences.
Cette démarche porte ses fruits puisque les phénomènes ayant généré plus de 100 décès sont anciens (le plus récent datant de 1959). L’efficacité des services de secours s’est également accrue avec la création de la cartographie des zones inondables, ceux-ci déclarant une centaine d’intervention décisives ayant empêché des catastrophes. La prévision des crues et l’amélioration des secours aux populations constituent donc deux avancées permises par cette démarche de cartographie.
D’un point de vue économique, on observe que les phénomènes ayant généré plus d’un milliard d’euros de dommages sont à l’inverse des évènements récents pour la plupart. Cela est lié à une augmentation des enjeux en zone inondable dû à l’urbanisation des rives au fil du temps. Pour exemple, la crue sur la Seine à Paris de 1910 à l’époque, a vu les dommages causés estimés à 1,6 milliards d’euros. Si elle revenait aujourd’hui, ils sont estimés à 30-40 milliards d’euros.
Intérêt de l’information historique dans la prévention
L’appréhension des inondations par le grand public est aujourd’hui erronée du fait de 3 biais amenant à une assez mauvaise compréhension de leurs origines :
- Le premier est lié au sentiment général que les rivières débordent beaucoup plus qu’avant et que cela est dû en premier lieu au fait que l’on se soit implantés en zone inondable et que la même crue il y a 50 ans et aujourd’hui n’a plus les mêmes conséquences.
- Le second est lié au fait que d’une génération à une autre, on n’habite plus forcément au même endroit. Cela engendre « une perte de mémoire » sur des évènements remontant à plus de 50 ans.
- Le troisième est lié au fait que l’on ait tendance à gérer le risque d’inondation à moyen terme. C’est-à-dire que lorsqu’une inondation catastrophique arrive, on demande à avoir une protection maximale, on engage des travaux pour protéger et réparer puis on rentre dans une phase d’oubli. Après 10 – 40 ans on va laisser l’urbanisme se développer en zone inondable, on va être moins vigilant dans l’entretien des ouvrages et on va oublier ces évènements importants.
La prévention au sujet des inondations ne consiste pas à réagir uniquement quand il y a une grande catastrophe mais de manière régulière et de se préoccuper du risque auquel on est exposé.
Quelques outils pratiques
Plateforme nationale collaborative des sites et repères de crues
Portail d’accès aux données hydrométriques et hydrologiques
Bilan annuel de Vigicrues
Géorisques : s’informer sur les inondations dans sa ville
Intérêt de la culture du risque
La culture du risque consiste à partager avec l’ensemble des acteurs concernés d’un territoire, l’information sur les risques passés, actuels et futurs dans le but d’anticiper les risques et prévenir leurs conséquences.
Il est possible de mettre plusieurs actions en place pour cela :
- Communiquer des informations sur le niveau d’exposition du territoire (cartes de zones inondées, illustrations sur les crues passées, vidéos ou animation sur les crues futures, repères de niveaux de crues sur les zones inondables comme sur la Saône, obligation de mention a un acheteur des sinistres passés sur le bien) ;
- Donner des conseils sur le comportement à adopter (se réfugier sur les points hauts, ne pas aller chercher sa voiture en sous sol, ne pas traverser une route inondée en voiture) ;
- Diffuser des messages de vigilance ;
- Organiser des exercices de crise (simuler ce qui arriverait dans le cadre d’une inondation pour voir ce qui est plus ou moins bien géré et essayer de faire mieux à l’avenir) ;
- Communiquer sur le risque (croisement d’un phénomène physique = aléa , enjeux et vulnérabilités / quand on l’analyse ne pas focus sur l’aléa mais réfléchir à la façon dont on s’expose ou pas au phénomène physique) ;
- Fêter les anniversaires d’évènements anciens pour communiquer ; etc.
Photo ©LyonRestos // auteur inconnu : Exposition Quiétude dédiée aux risques d’inondation
Le but est, que l’ensemble des acteurs ait conscience du sujet et que chacun y contribue en tentant de trouver des solutions.
Intérêt et limites de l’information historique
L’information historique est intéressante sur plusieurs points :
- Elle fournit une information directe sur les flux extrêmes (pas via une modélisation)
- Elle est facile à s’approprier pour le grand public
- Elle est utile aux ingénieurs pour la création de modèles statistiques et hydrauliques qui seront plus précis
- Elle est utile aux plans de prévention des risques inondations qui demandent de raisonner sur la crue historique la plus forte connue
Mais elle présente également des limites :
- Il s’agit d’une information du passé qu’il faut contextualiser
- L’information n’est pas toujours disponible partout (ex : secteur non habité)
- On ne peut pas savoir si aujourd’hui un phénomène se produirait de la même façon (même si les modèles mathématiques aident)
- Les données étaient moins précises avant
Scénarios et évolution du Rhône et de la Saône
À l’échelle de notre territoire, une démarche vient d’être lancée dans le but de tenter de prendre en compte les perspectives d’évolution des fleuves dans le développement des usages et s’entendre sur des objectifs liés aux fleuves et à leurs berges, aux relatons avec la ville. Cette démarche est également abordée sous un axe « données » via la compilation au sein d’un Système d’Information Géographique (SIG) qui permet d’éditer des cartes et de faire des analyses pour voir la part des quais artificialisés, occupés par les bateaux, qui n’ont pas d’aménagement, zones naturelles etc. Autant d’éléments importants pour l’aide à la décision. L’intérêt est de prévenir le risque qu’il y ait des conflits d’usage au sein de la ville (comme c’est le cas sur les berges du Rhône).
Une concertation auprès des partenaires et du grand public est également au prévue sur des projets en lien avec :
- Le devenir de l’axe nord sud (la rive droite du Rhône) : qui a été utilisé pour protéger la ville des inondations (murs des quais à des hauteurs importantes). La ville est protégée mais ces murs ont eu un effet de coupure notamment via l’occupation rapide de ces derniers par l’automobile. La réflexion est engagée avec déjà plus de 1000 contributions.
- Sous le pont Morrand : un projet de logistique urbaine fluviale va voir le jour afin d’utiliser le fleuve pour desservir la ville en marchandises. Le groupe ULS va transporter la marchandise du port Édouard Herriot au pont Morrand (rive droite – parking géré par VNF sous le pont : va être utilisé pour faire venir une barge et des véhicules électriques desserviront le dernier km).
Et le changement climatique dans tout ça ?
Cela est problématique car il y a moins d’eau à turbiner pour la partie production d’énergie, mais surtout car aujourd’hui nous avons plusieurs usages des fleuves en simultané : navigation, production d’énergie, irrigation des terres agricoles, refroidissement des centrales nucléaires etc. Demain, avec moins d’eau, on ne pourra pas tout faire et il faudra prioriser. A cela s’ajoute le fait que les évènements météorologiques et surtout les pluies risquent d’être plus violents et réguliers.
Qu’est ce qui selon vous va changer dans la pratique du fleuve ?
Michel Lang (INRAE) : Les fleuves amènent beaucoup de pollution dans les mers et océans (plastique notamment) surtout en sortie de ville et notamment les grandes villes. Demain, ces polluants il faudra en voir moins. VNF déploie actuellement un outil : une poubelle flottante qui aspire des billes de polystyrène ou de micro plastique.
Gérald Coste (CNR) : Il va y avoir une série de conflits d’usage qui vont mettre à mal certains projets. Il faut se réunir et en parler.
Olivier Pillonel (Grand Lyon) : On observe un essor des initiatives citoyennes via par exemple des opérations de nettoyage. Cela va changer nos pratiques car ça permet de ne plus fonctionner par grands projets. Certains vont se faire par des associations, des collectifs… J’aimerai aussi voir plus de navigations et qu’on permette aux grands lyonnais de boire un verre au bord du fleuve mais également de le voir comme moyen de déplacement (tout en le respectant – avec des bateaux silencieux, qui ne rejettent pas de carbone… qui s’intègrent pleinement dans la ZFE).